Poésie / Littérature / Photographie                                                            Catherine Ferrari

Poésie / Littérature / Photographie                                                            Catherine Ferrari

Lecture

"Mon Amour est de haute naissance

Comme il sied à un être étrange et sans prix:

 Il est le fruit de l'union du Désespoir

Avec l'impossible"

 Andrew Marvell

 

*Nota : l'essentiel de mes lectures est disponible dans le sommaire en suivant le lien ci-dessous. Quelques extraits de certains livres sont repris ci-après.

https://www.kozhderv.bzh/catherineferrari/lectures.html

Une histoire sans nom. Jules Barbey d'Aurevilly

"Ce silence funèbre entre elles était le plus insupportable de leurs supplices ... Ce n’était pas la prière, comme dit le mystique saint Martin, qui est la respiration de l’âme humaine. Non ! C’est la parole tout entière, et quoi qu’elle exprime, haine ou amour, soit qu’elle maudisse, soit qu’elle prie ou blasphème ! Aussi, se condamner au silence, c’est se condamner à étouffer sans mourir."

Du temps qu'on existait. Marien Defalvard

"Je me souviens de l'amour, de la mort. On a beau dire, une fois qu'on a pris conscience des deux, de la paire odieuse et vitale, il ne reste plus beaucoup d'espoirs à ronger. La vie vous a enfumé, elle vous a fait, quatorze années inconscientes et magiques, miroiter ses plus beaux profils, les plus avantageux ; son poitrail saillant, sa silhouette de bal, ses biscotos de bronze. Et puis, soudainement, cruellement, elle vous a dit, méchanceté, déréliction, supplice, elle vous annonce, comme ça, que votre vie de derrière est finie, vos plus beaux morceaux ; l'inconscience, l'insouciance, la crédulité finies, on passe au deuxième volet, au deuxième acte, et puis flûte alors, rideau ! rideau sur la vie ! C'est insupportable !! il n'y a rien à faire, plus rien à ajouter, reste le pale remède des jours, les beaux jours que vous contemplez, que nous contemplons le soir au moment du coucher, quand le soleil, lui aussi à la couche est tué sur la crête ; l'instant précis où toutes les croyances, les espérances s'écroulent, où il ne reste plus qu'un regret, un pitoyable, un gigantesque regret. Où il ne reste plus, à l'instant mourant du soleil, dans votre lit sans plus d'envie, sans plus d'énergies, que le passé, embelli par la laideur du présent, par la force du temps par la splendeur du souvenir ..."

Correspondance Léon BLOY et Johanne MOLBECH ( 1889-1890)

"Je ne serais pas ce que je suis, c'est à dire un artiste, si cette chienne de littérature n'intervenait pas jusque dans les mouvements les plus naïfs de mon cœur" Léon Bloy Correspondance (1889-1890)

Le Désespéré. Léon BLOY

"Certaines paroles du Livre sacré sont bien étranges ... Qui sait, après tout, si la forme la plus active de l'adoration n'est pas le blasphème par amour qui serait la prière de l'abandonné ? ... Je vivrais donc sur ma vocation jusqu'à ce que j'en meure, dans quelque orgie de misère. Je serai Marchenoir le contemplateur, le vociférateur et le désespéré, - joyeux d'écumer et satisfait de déplaire, mais difficilement intimidable et broyant volontiers les doigts qui tenteraient de le bâillonner.-"

Missa sine nomine. Ernst Wiechert

"Le jour matinal l’éblouit et il resta un instant immobile, le dos appuyé à la paroi de l’étable. Que la terre était neuve, chaque matin, surgie de la nuit comme d’une tombe ! Le marais fumait sous le soleil matinal. Par derrière, les rochers resplendissaient pareils à de l’or en fusion. Dans les petits sapins, les toiles d’araignées scintillaient. Rien ne bougeait, que le premier busard qui planait en rond au-dessus des tourbières. Ici, il ne s’était rien passé de mal, ni hier ni mille ans plus tôt. On y avait toujours connu la dureté de la terre et des créatures, mais jamais la méchanceté de l’homme. Ici, la solitude était trop grande pour le mal."

Le jardin de Bérénice. Maurice Barrès

"Les couchers du soleil sont prodigieux à Aigues-Mortes. Je n'y vis jamais rien de brutal : ses feux décomposés par l'humidité de l'air prenaient tous les coloris tendres de la gorge des colombes, mais avec une grandeur et une sublimité de désolation que saint Louis, quittant ces rivages, ne dut pas retrouver égales dans les plaines de Damiette. Ici, rien de vulgaire, rien non plus qui date ; ce lieu, qui se présente naturellement sous un aspect d'éternité, met en un clair relief combien est furtive la grâce de Bérénice, combien fugitive chacune de mes émotions les plus chères. Aigues-Mortes est une pierre tombale, un granit inusable qui ne laisse songer qu'à la mort perpétuelle."

Sous le soleil de Satan. Georges Bernanos

"Voici l’horizon qui se défait – un grand nuage d’ivoire au couchant et, du zénith au sol, le ciel crépusculaire, la solitude immense, déjà glacée, – plein d’un silence liquide… Voici l’heure du poète qui distillait la vie dans son cœur, pour en extraire l’essence secrète, embaumée, empoisonnée."

Dits et contredits. Karl Kraus

"Je regarde par la fenêtre, et l’horizon m’est bouché par un visage de nigaud. C’est tragique. Je n’ai rien contre le fait qu’il existe des visages répugnants. Mais pourquoi l’optique veut-elle qu’un homme puisse cacher une forêt ? Certes, on peut cacher l’homme à son tour par un bâton tendu en avant. Mais dans tous les cas, on en est pour ses frais dans l’illusion d’optique. Les rayons de lumière servent ainsi à multiplier la misanthropie."

Au nom du père. Christian Guillet

"L'élite émerge-t-elle de ceux qui faute d'originalité et de vocation, préparent ensemble à seize ans une école, ou bien de jeunes isolés qui élaborent en secret et en toute gratuité leur futur miel, quitte à traîner en longueur une piètre scolarité ? Il y a souvent dans la lenteur la promesse d'un fruit mûr, alors que le profit purement social de la précocité s'accompagne d'une indigestion irrémédiable."

Les dernières tentations. Christian Guillet

"Rien n'est indifférent à l'amour, il se nourrit de tout et transfigure jusqu'à l'indifférence, pareil au poète qui rencontre sa poésie dans ce même qui risquait de l'en distraire."

Le lys et le serpent. Níkos Kazantzákis

"Ô mon amour quitte Ton socle et viens, que je T'intoxique tout entière avec mes lèvres et que j'instille en Toi goutte à goutte le Grand Désir. Le Grand Deuil et la Grande Nostalgie du Nirvana où la beauté est éternelle et le sommeil doux et immobile et où le plaisir de la Nuit n'est pas empoisonné par l'amertume de l'aube"

Níkos Kazantzákis Le lys et le serpent

Pier Paolo Pasolini, Poésies, 1943-1970

"Nous resterons offerts sur la croix, au pilori, entre les pupilles limpides de joie féroce, découvrant à l’ironie les gouttes du sang de la poitrine aux genoux, doux, ridicules, tremblant d’intelligence et de passion dans le jeu du cœur brûlant de son feu, pour témoigner du scandale."

Moravagine. Blaise Cendrars

"Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillent et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?"

La rue profonde. Paul Gadenne

"Les journées sont toutes différentes, séparées. Mais les nuits sont unies, les nuits sont toujours la nuit, la même ; il n’y a qu’une seule nuit, au fond de laquelle nous retombons chaque soir comme des noyés."

L'Esclave libre. Robert Penn Warren

"Je ne sais si le mérite, l'agrément, les exploits, la vertu, la beauté ont un rapport quelconque avec l'amour. L'objet de notre amour peut nous charmer par tant de différentes, de paradoxales qualité, par sa force ou par sa faiblesse, par sa beauté ou sa laideur, par sa gaieté ou sa tristesse, par sa gentillesse ou son agressivité, par sa bonté ou sa méchanceté, par ce besoin qu'il a de nous ou par son impétueuse indépendance... Et puis, lorsque nous nous interrogeons pour savoir de quelles sources secrètes, en nous-même a jailli cet amour, voilà que notre pauvre cerveau s'étourdit en conjectures, et que nous nous demandons ce que tout cela signifie, ce que tout cela vaut... Est-ce le besoin de compagnie qui nous pousse à aller vers quelqu'un et à souhaiter combler son propre besoin, ou est-ce, au contraire, notre force ? Si nous possédions cette force, de quel côté inclinerait-elle notre cœur ? Donnons-nous de l'amour pour en recevoir et, dans l'extase de la caresse, nous livrons-nous à des calculs que nous ne nous avouons pas, à ces calculs secrets que pratique l'usurier aux lèvres serrées ? Ne suscitons-nous la passion, avec arrogance, que pour nous définir nous-même ? Est-ce simplement que nous avons besoin d'une main, de n'importe quelle main, d'un objet humain à étreindre dans le noir, sur la couverture, quand la peur est tapie derrière toutes choses ? Souhaitons-nous le bonheur, ou est-ce la souffrance (la souffrance, signe de notre réalité) que nous désirons du fond de notre cœur ?"

Les Fous Du Roi. Robert Penn Warren

"La vérité est une chose terrible. On commence par y poser le bout du pied, sans rien éprouver. Quelques pas de plus, et on s’aperçoit qu’elle vous entraîne comme le ressac, vous aspire comme un remous. D’abord, la vérité vous attire à elle d’un mouvement si lent, si régulier, si mesuré, qu’on s’en rend à peine compte ; et puis le mouvement s’accélère, et puis c’est le tourbillon vertigineux, le plongeon dans la nuit. Car la vérité a ses ténèbres. On assure qu’il est terrible d’être saisi par la grâce divine."

 

Le Tigre Absence. Recueil de poèmes. Cristina Campo

 

"Pieuse comme la branche

ployée par tant de neiges

joyeuse comme un bûcher

sur des collines d'oubli,

 

sur des lames acérées

en blanche tunique d'orties

je t'apprendrai, mon âme,

ce pas d'adieu ..."

Les impardonnables. Cristina Campo

"Rares, très rares sont ces fortins qui laissent le sable et le vent les effacer plutôt que de déchoir en hôtel ou en caravansérail. Il m'arrivait parfois de feuilleter une revue, et c'était comme tenir entre les mains un hérisson. Un opuscule hirsute, une suite de vers impeccablement éphémères, et l'un surpassait l'autre en féroce précarité, mettant plus d'ardeur encore à étreindre l'heure de sa propre mort. Puis survenait le silence, inopiné : la page s'ouvrait sur un ciel pâle au-dessus de la mer - une page criblée de vers aussi purs que la Grande Ourse. C'était un poète. Impassible et vertigineux, futur comme la joie et plus révolu qu'une pierre tombale." Les impardonnables.

 

Du même auteur :

Lettres à Mita 

"Habiter sur les deux rives de l'Atlantique est bien cruel à certaines périodes; mais l'indicible soulagement que l'on éprouve quand les nuages noirs accumulés par la distance se défont dans la douce pluie des bonnes nouvelles, en vaut peut-être la peine. Maintenant je voudrais que vous vous réveillez de votre somnambulisme, pour vous réveiller ... dans mon rêve."

Piazza Sant' Anselmo Lettre à Mita. 9 mai 1966 

Cantos Et Poèmes Choisis. Ezra Pound

 

"Tu es un chien battu sous la grêle,

Une pie gonfflée dans le soleil changeant,

Moitié noire moitiée blanche

Dont on ne connait l'aile de la queue

Mets bas ta vanité

     Combien mesquine tes haines

Engendrées en fausseté,

     Mets bas ta vanité,

Prompt à détruire, mesquin en charité,

Mets bas ta vanité,

     Je dis mets bas.

 

Mais d'avoir fait au lieu de ne pas faire

     ceci n'est pas vanité

D'avoir, par décence, frappé

Pour qu'un Blunt ouvre

     D'avoir tiré de l'air une tradition vive

ou d'un vieil oeil malin la flamme insoumise

Ceci n'est pas vanité.

     Ici bas l'erreur est toute dans le non fait,

toute dans le doute qui trébucha."

L'ange des ténèbres. Ernesto Sábato

 

"Ernesto Sabato, le grand romancier argentin, écrivait cette phrase dans un de ses textes : "Une des missions de la grande littérature : réveiller l'homme qui voyage vers l'échafaud ", phrase que nous pourrions placer en exergue de l'art de notre siècle, comme une inscription funèbre gravée sur le portique au-delà duquel l'espérance est interdite. Paul Gadenne écrivit quant à lui, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale : " Depuis quatre-vingts ans et plus, la littérature s'écrit devant le bourreau."

 

Extrait : "Car il n'est pas de bonheur absolu. À peine nous est-il donné en de fugaces et fragiles moments, et l'art est une façon d'éterniser (de chercher à éterniser) de tels instants d'amour ou d'extase. Car toutes nos espérances se transforment tôt ou tard en réalités bancales. Car nous sommes tous déçus d'une façon ou d'une autre ; et si nous réussissions en quelque chose, nous échouons en telle autre ; la déception est la destinée inéluctable de tout être mortel. Car nous sommes tous seuls, ou nous finissons toujours par l'être un jour : amant sans la partenaire aimée, père sans ses enfants ou enfants sans leur père, et le révolutionnaire pur face à la triste matérialisation des idéaux qu'il a jadis défendus au prix de sa souffrance et d'atroces tortures. Car la vie est un continuel rendez-vous manqué ; et si nous rencontrons quelqu'un sur notre chemin, nous ne l'aimons pas quand il nous aime, ou nous l'aimons quand nous ne sommes plus aimé, ou bien quand la personne est morte et que notre amour est devenu vain."